Culture démocratique
#participation Coopération des acteurs oeuvrant pour la participation citoyenne
Les assemblées tirées au sort ont fait la preuve qu’elles fonctionnent
Le 4 septembre, le peuple chilien disait non au remplacement de la Constitution de Pinochet par une Constitution a priori plus démocratique et progressiste, sur laquelle une assemblée élue et marquée par une diversité historique avait travaillé depuis près d’un an. Le rejet est net, avec 62 % de non pour 38 % de oui, et un non qui l’importe dans toutes les régions du pays. Le fort taux de participation – plus de 86 % des inscrits, dans un contexte d’inscription automatique et de vote obligatoire inédit depuis l’élection présidentielle de 2009 – renforce cette conclusion.
Quels enseignements tirer de cet échec apparent dans la perspective d’un nouveau processus constitutionnel, pour que ce résultat négatif ne se répète pas ? Il faut d’abord prendre au sérieux le choix du peuple chilien de rejeter la solution proposée à une Constitution pourtant haïe par beaucoup. Il est rare pour un référendum sur une nouvelle Constitution de se terminer par un vote négatif.
Certains accusent l’influence de groupes d’intérêts puissants menacés par des articles progressistes contenus dans le projet. Si ces forces politiques et économiques ont joué un rôle évident dans la campagne référendaire, de même qu’ont joué les phénomènes des « fake news » et l’impopularité du président Boric, elles n’expliquent pas à elles seules la marge énorme de rejet – près de 24 points entre le non et le oui. Les Chiliens n’ont pas jugé le texte suffisamment bon.
Il serait tentant de faire porter la responsabilité de cet échec sur le choix d’une Assemblée constitutionnelle composée de non-parlementaires et de vouloir désormais remettre au centre la logique des partis et des professionnels de la politique. Mais la décision de former une Assemblée composée de citoyens directement élus a été prise lors d’un référendum en octobre 2020 dont le résultat, 75 % en faveur en faveur d’une assemblée constituante de citoyens (plutôt que l’alternative d’une assemblée mixte composée à 50% de parlementaires), marque un désaveu catégorique de la classe politique chilienne. Cette décision ne doit pas être remise en question.
L’erreur principale ayant abouti à cet échec tient non pas au choix d’une Assemblée constituante moins politicienne, mais à son mode de sélection. Alors même qu’ils visaient à atteindre une plus grande représentativité du pays que celle offerte par leur Parlement, les Chiliens ont eu recours exactement au même mécanisme de sélection qui crée les biais habituels des Parlements du monde entier : l’élection.
Ce choix, en mai 2021 a produit une Assemblée idéologiquement beaucoup plus à gauche que le reste du pays. L’introduction de quotas pour les communautés indigènes et la parité pour les femmes ont corrigé les biais ethniques et de genre classiquement introduits par l’élection ; mais ils ont sans doute renforcé le biais idéologique. Or, un contrat social n’a pas vocation à être réécrit tous les quatre ou cinq ans. Il est donc désirable qu’une Assemblée constituante reflète les préférences politiques profondes de l’ensemble du pays et non pas la couleur idéologique dominante du moment.
Le tirage au sort aurait constitué une meilleure solution. Considérée comme la méthode démocratique par excellence par les Grecs de l’époque classique, c’est aussi le moyen le plus efficace de garantir une représentation proportionnelle aux diverses convictions idéologiques des Chiliens, notamment les plus traditionalistes, tout comme aux catégories traditionnellement sous-représentées.
Lire : La démocratie autrement 2|6. Le tirage au sort
Le Chili peut s’appuyer ici sur une renaissance du tirage au sort dans de nombreux pays au cours des trente dernières années - qui a donné lieu à ce que l’OCDE a qualifié de « vague délibérative » de près de 600 assemblées citoyennes à travers le monde. Ces assemblées s’appuient sur des méthodes statistiques modernes, sur des avancées théoriques et pratiques dans l’organisation et la facilitation des processus, et souvent sur le savoir d’experts, mis au service des délibérations citoyennes. Elles portent sur tous les sujets politiques, allant de la formulation de plans d’investissements de long terme à la régulation des plates-formes numériques, en passant par les questions climatiques. Elles s’appuient sur le savoir d’experts, mis au service des délibérations citoyennes.
Le cas islandais
Le tirage au sort a notamment été au cœur d’au moins deux processus constitutionnels récents : l’un en l’Islande, en 2010-2011, et l’autre en Irlande, en 2018. Dans le cas islandais, un Conseil constitutionnel élu a travaillé sur la base d’un agenda défini par un échantillon de 950 Islandais tirés au sort. Dans le cas de l’Irlande, une assemblée de 99 citoyens tirés au sort a directement délibéré sur l’accès à l’avortement et fait au Parlement la recommandation de supprimer l’interdiction de l’avortement de la Constitution. Dans les deux cas, des référendums nationaux ont eu lieu sur le texte ou les amendements proposés, et se sont soldés par un soutien positif des deux tiers des votants.
Si le Chili s’était inspiré de ces précédents, son Assemblée constituante aurait sans doute traité de manière plus représentative la question du droit de propriété et du principe national. Pour autant, elle aurait sans doute été confortée dans son désir de radicalité sur les questions de justice sociale et de justice climatique, des aspirations plus majoritaires et consensuelles, notamment chez les jeunes, et que les partis traditionnels ont peine à représenter.
Les assemblées tirées au sort ont fait la preuve qu’elles fonctionnent. L’OCDE et d’autres organisations, comme la Commission nationale du débat public en France, ont formulé des standards de bonnes pratiques sur lesquelles le prochain processus constitutionnel chilien pourrait s’appuyer. L’échec du référendum du 4 septembre ne signale pas la nécessité de revenir à une Assemblée constituante purement politicienne, mais celle de passer, au moins en partie, à un mode de sélection assurant un corps constituant plus représentatif et démocratique : le tirage au sort.
Hélène Landemore est professeure de théorie politique à l’université Yale (Etats-Unis), autrice de « Democratic Reason » (2013, non traduit) et d’« Open Democracy » (2020, non traduit) ; Claudia Chwalisz est fondatrice de DemocracyNext, un institut de recherche et d’action international, et l’ancienne responsable du programme à l’OCDE sur la participation citoyenne innovante.
Hélène Landemore(Professeure de théorie politique) et Claudia Chwalisz(Directrice de DemocracyNext)
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